« POUR MOI, L’ANGE EST UNE PENSÉE AVANT LA PENSÉE »
Categorie: EntretiensVous avez écrit une pièce de théâtre intitulée Dacă aş fi un înger (Si j’étais un ange). Je vais vous poser une question directe : vous regrettez de ne pas être un ange ?
Je ne pense pas que le sentiment que je ressens soit le regret. Je pense plutôt, de ma posture d’homme, comment cela aurait pu être … Si j’avais été un ange dans l’histoire respective, c’est-à-dire dans la pièce de théâtre, j’aurais certainement vu plusieurs autres choses que ces gens là, les personnages, ne voyaient et ne comprenaient pas. Le rôle de l’ange qui plane sur l’espace de jeu est justement celui d’offrir des significations que les personnages de la pièce ne voient pas.
Alors, posons autrement la question : qu’est-ce que vous feriez si vous étiez un ange ?
Si j’étais un ange … bon, je suivrais la fiche de leur poste qui est très bien établie. Je ne crois pas qu’ils dépassent beaucoup la fiche du poste – d’ailleurs, ils n’auraient pas les moyens – car leurs attributions sont très bien précisées autour de l’homme c’est-à-dire autour de celui qu’ils servent. Je suis en train d’écrire une pièce qui va avoir le titre Taina îngerilor (Le mystère des anges) et où je m’imagine que si les anges ont des attributions très précises, alors, ils ont également un mystère. Un mystère qu’ils sont les seuls à le connaître. Moi, je ne fais que l’imaginer, c’est-à-dire : l’amour entre deux êtres est la conséquence directe de l’amour entre leurs anges gardiens. Ce mystère qui est le leur fait que nous les hommes nous nous rencontrons, que nous ayons d’histoires remarquables de vie, que nous nous cherchons toujours. Notre vie est le résultat des recherches qu’ont, à leur tour, nos anges.
Comment vous représentez-vous ces êtres célestes ? De manière iconographique ou non-conventionnelle ?
J’ai eu la tentation de chercher à donner à un ange une personnalité visible, une représentation concrète. Je suis arrivé à la conclusion qu’il est inutile parce que j’ai vu des humains qui me suscitaient le sentiment qu’ils étaient des anges, qui ils faisaient quelque chose de spécial et qui me avaient croire que ce que j’avais vu était pouvait être justement l’ange de cet être.
Devant l’édifice de la Télévision il y a une croix en bois à la mémoire des ceux qui y sont morts. Où croyez-vous que leur ange gardien se trouvait en ces moments-là ?
Ce moment-là reste un moment très spécial. Je pense qu’il a été un moment où les anges étaient très peu préparés pour défendre leurs hommes. Ces moments ont été des moments profondément mauvais. C’était un paiement historique pour une impuissance qui a duré des dixaines d’années et il est probable que les plus fragiles des hommes, avec leurs anges les plus délicats, aient péri alors. Il se peut que ceux qui ont été gardés par des anges ténébreux aient survécu … Depuis le moment où j’ai gravi le seuil de la Télévision, j’ai ressenti une chose très étrange. Je me trouve au XIème étage, dans le bureau où se sont trouvés tous les présidents qui m’ont précédé. Je ressens un continuel sentiment d’oppression et il me tarde de quitter cet XIème étage et de déménager dans une autre aile. Il y a un poids oppressant dans les murs de la tour de la télévision. Il est probable que trop de fois les anges bons ont été chassés ou écrasés par les faits presque inhumains de certains hommes qui ont eu ici des « affaires » dans le mauvais sens du mot.
D’après vous, a-t-on a fait un service religieux dans cette institution ?
Des prêtres sont passés par là, mais je ne pense pas qu’on ait fait un service religieux pensant à une libération, pensant à arracher tout ce poids mauvais des fibres de béton et de fer de l’immeuble … Il s’est passé une chose spéciale lorsque j’ai changé l’équipe de direction et j’ai nommé Directeur de Programmes Titi Dincă que tout le monde connaît comme réalisateur d’émissions de vie spirituelle. Dans un journal est paru un article avec un titre caricatural : Le numéro deux de la télévision est un pope. De la méchanceté initiale de l’article, il en ressortissait que, du point de vue du management formel de l’institution, était apparu un signe bon, qui indiquait « autre chose ».
Avez-vous un ange gardien dont vous sentez la présence ?
Absolument ! Et je le sens comme une pensée avant la pensée. C’est quelque chose- quelqu’un qui pense, avant que je pense, la logique d’une action ou d’une appréciation. Cette pensée a la force d’une perception de présence qui m’entoure et qui me met en dehors d’un danger, autrement inévitable. C’est comme une chemise, comme une zone tampon entre toi et l’agression que tu dois subir.
Vos enfants croient-ils aux anges ?
Mes enfants ont à cet âge plutôt la connaissance donnée par les lectures. Je pense que l’intuition, le sentiment de l’idée d’ange est obtenu avec le passage des années, avec l’éveil dans ce monde particulièrement dur. Il est très intéressant entendre les enfants parler des anges. J’associerais à cette idée l’histoire d’un enfant qui voyant dans un champ un arbre coupé a exclamé : « Dorénavant, le vent ne va plus souffler », c’est-à-dire qu’il ne sentira plus la présence du vent indirectement, à travers les branches et les feuilles qui s’agitaient à chaque souffle … Même s’ils n’ont pas une conscience théorique bien exprimée, les enfants ont la meilleure perception de l’ange.
L’histoire dit, comme une boutade, que lorsque les Turcs frappaient aux portes du Byzance, les théologues disputaient du sexe des anges. Métaphoriquement parlant, il y a une ressemblance entre cette situation et la situation de la Roumanie d’aujourd’hui ?
Sans qu’on la transfère d’une manière abrupte, oui. Je crois qu’à présent, il y a un discours public parallèle qui n’a aucun rapport avec les problèmes profonds qui frappent aux « portes » de la cité humaine. Il y a des hommes qui, pareils aux armées turques, veulent la destruction. D’autres, frustrés, semblent regarder plutôt les anges que le domaine social. Mais, je veux vous le demander : qu’est-ce qu’il était plus important pour les habitants de la cité assiégée par les Turcs ? A mes yeux leur discussion, importante pour eux, ressemble à une forme d’héroïsme, que d’autres pourraient la qualifier comme inconscient.
Pourquoi la majorité des personnes publiques évitent les discussions sérieuses concernant leur foi ?
Il y a deux raisons. La première, parce que les uns miment la foi et c’est seulement de cette manière qu’ils peuvent être « reconnus » par le peuple croyant. C’est une forme théâtrale, ils jouent un rôle qu’ils ne comprennent pourtant pas. L’autre forme – de discrétion – est une forme que je comprends le mieux. La foi est quelque chose de plus discret et plus intime que tout autre chose, plus même que les souvenirs (qui appartiennent strictement à chacun de nous. Moi-même je n’en parle pas facilement, même maintenant je trouve mes mots avec difficulté … Je ne fais pas partie des ceux qui se soumettent à la vue des autres, faisant tout un cérémonial autour de la foi dans les espaces y dédiés. Je n’ai pas la conviction que je dois m’exprimer en tant que possesseur de foi, dans une forme nécessairement conventionnelle.
Qu’est ce que vous pensez de l’instauration de nouvelles fêtes en Roumanie, telle la Saint Valentin ?
Ce ne sont que des petites combines sociales. Des choses qui essaient de trouver et une zone de fondement religieux, mais qui ne prennent pas en compte qu’elles ne sont que des expressions commerciales, des mondanités ou seulement une occasion d’ « inventer » un autre événement. Elles sont promues par les commerçants des médias et par ceux de l’alimentation publique. Il se peut que cette fête forcée apporte un peu de mal, mais, de toute manière, pas un peu de bien. Dans le cœur de l’homme, il y a un Panthéon minimal qui le pousse à se rapporter aux fêtes, à certains rituels. Si là se crée une trop grande agglomération, on n’a plus la possibilité de se singulariser, d’avoir une intimité. Ainsi, on n’a plus un événement, mais on rentre dans le dérisoire et dans le jeu commercial. (a consigné Răzvan Bucuroiu, Lumea credinţei, Ière année, no.4)