L’HOMME QUI A LAISSÉ LA MORT ENCEINTE

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Le fait que la pièce a été présentée pour la première fois à Sibiu a un rapport avec le fait que vous aimeriez qu’elle soit mise en scène ici ?

Le travail du dramaturge s’achève lorsque celui-ci finit d’écrire le texte. La mise en scène ne dépend plus de l’auteur, mais du contexte, de l’intérêt avec lequel le texte est reçu ; elle est liée à un metteur en scène, aux offres qui surgissent après que la pièce a été présentée pour la première fois.

Vous sentirez-vous dans une position plus confortable, pour la mise en scène de cette pièce, en collaborant avec un certain metteur en scène plutôt qu’avec un autre ?

Dans le cas présent, il s’agit d’un metteur en scène qui ait une vision légèrement impériale, ample, grandiose car il s’agit d’un Bar des Dieux où il y a des mages, des diables, des anges, un espace spécial, peuplé par une série de personnages qui arrivent d’un univers spectaculaire, à part.

Ces mages, diables et dieux sont-ils des hypostases de l’homme ?

Ce sont eux qui vivent plutôt des hypostases humaines – ils ont des histoires qui leur confèrent un côté humain, des angoisses et des ambitions humaines.

Et pourtant, dans la pièce même ces diables et dieux se trouvent dans la main du destin.

Le tout est subordonné au plan divin et ils s’y soumettent. Même s’ils ne s’en rendent pas compte, toutes leurs ambitions, tous leurs désirs sont subordonnés à ce grand plan. Et il y a encore une chose en ce qui concerne les diables : ils ne connaissent pas le mystère des anges et cette méconnaissance les fait justement rater le final et leur plan  diabolique va se retourner contre eux.

Le moment initial de la pièce est une sorte de ars poetica de l’acteur, qui parle de la séduction de l’art, de la manipulation et de l’idée que les spectateurs désirent se laisser enchanter.

La pièce débute par la scène où, au Bar des Dieux, est présenté un numéro de magie. Cela représente une plaidoirie, ou mieux, une vision personnelle sur le théâtre et sur les acteurs, sur cette participation librement consentie à l’acte artistique ; c’est ma conviction liée au fait que tant les spectateurs que les acteurs doivent avoir la foi en ce qu’ils font, en ce qui se passe sur la scène, même s’il ne s’agit pas de quelque chose de concret ou qui appartient à l’espace du réel. Ce commencement fait que le texte soit placé tout le temps en rapport avec la magie, parce que le théâtre reste un espace magique, où il y a la possibilité du vécu authentique, seulement dans le cas où le spectateur accepte l’idée de croire dans la véridicité du monde qui apparaît sous ses yeux.

Au moment de la lecture, j’ai fait un parallèle entre le protagoniste de la pièce, avec son numéro de prestidigitation, avec sa manière de prononcer son discours, tel un « magicien des mots », comme vous l’avez appelé, et les politiciens qui réalisent leurs numéros d’illusion à l’aide des mots devant tout le monde.

Oui, certainement, les politiciens sont eux aussi de petits imitateurs de l’espace où les diables jouent avec les hommes. Le plus souvent, ils ne sont que des imitateurs grossiers et, avec certitude, les résultats sont des plus malencontreux pour les gens qu’ils essaient de manipuler. Ce parallèle, ce machiavélisme constitue un thème que nous pouvons longtemps discuter.

Je sais que vous avez l’habitude de dénommer vos personnages avec des noms génériques. Cette fois-ci c’est différent. Pour cette raison, en parcourant le texte, je me suis demandé quels sont les personnages réels qui se cachent derrière leurs noms ?

Normalement, j’ai l’habitude de laisser les noms des personnages dans la zone du générique. Cette pièce constitue une exception, sans pour autant renvoyer à la réalité immédiate. Ici, les noms ne sont pas choisis de manière aléatoire, ils ont des significations spéciales : Vladimir, par exemple, signifie le « maître du monde ».

Votre pièce laisse l’impression de penduler entre le bien et le mal. Pourtant, aucun des personnages ne représente le bien ou le mal absolu. Même les anges ne sont parfaitement bons.

Les anges devraient être dans la hiérarchie céleste au-dessus de l’homme, mais ils ont eu, ont et vont avoir toujours une malédiction, celle grâce à laquelle Dieu a donné son image et sa ressemblance à l’homme. Pour cette raison, les anges peuvent déchoir et ils sont d’ailleurs déchus. Les anges peuvent avoir une faiblesse, il se peut qu’il y ait quelque chose très fort de type humain qui les séduise et les fasse céder, ainsi que Valentino a cédé à la tentation d’avoir une condition exceptionnellement humaine.

Vous croyez au paradis et à l’enfer ?

Dans le sens cinématographiquement humain, non. Mais j’y crois dans le sens des zones de l’existence, après celle terrestre. Pour moi, il n’y a pas une apocalypse commune, mais une apocalypse de chacun, car chacun d’entre nous a une fin. Et, à la fin, le paradis et l’enfer commencent ici, sur la terre. Finalement, la vie en elle-même peut être un paradis ou un enfer. Le paradis et l’enfer sont liés à l’individu, et non pas à une perception collective.

Pouvez-vous nous offrir quelques repères liés à votre activité présente et future ?

En ce moment, on joue au Théâtre Nottara Uzina de vise (L’usine des rêves), arrivée à la fin de la sixième saison et au début de la septième. Pour l’avenir, je travaille à un projet qui, cette fois-ci, n’est plus lié au théâtre. Je veux diriger mon attention vers le roman, mais cela ne signifie pas l’abandon du théâtre, mais tout simplement une tentation à laquelle je ne veux pas résister. Le roman est un genre littéraire où je veux dire quelque chose parce que je sens que j’ai quelque chose à dire. Ce sera un roman spécial, un roman qui va inclure une pièce de théâtre. Il ne sera donc pas un roman pur, mais un roman d’intersection avec le théâtre, l’espace théâtral restant une présence forte.

Je sais que vous êtes géophysicien de formation. J’aimerais vous demander comment  êtes-vous arrivé au théâtre ?

Cela a été un pur hasard que moi-même je me l’explique mal, que je met peut-être sur le compte d’une sorte de « paresse » à écrire, n’ayant pas toujours le temps nécessaire pour écrire, et alors le théâtre me le permet – « la vie par excès » : je fais un excès pendant quelques nuits, et j’écris un texte. Ecrire est pour moi un acte spontané, me rend libre de tout ce que j’ai accumulé depuis longtemps. C’est ainsi que s’explique le fait de n’avoir jusqu’à maintenant abordé le roman, bien que j’en aie été tenté. Le roman suppose un effort permanent de parfaire, de travailler le texte. Le roman que j’envisage, je l’écrirai probablement dans quelques semaines, car j’ai une deuxième vie, dans l’espace public, assez intense et qui ne me permet pas de sortir de la rigueur du travail pour longtemps.

(Interview réalisé par Oana Raluca Sivu, Sibiu Standard, Aplauze, du 5 juin 2008)


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